L’artiste Sidonie Bilger est en résidence depuis plusieurs semaines au TAK (The Art Kclob), un centre d’art et d’accueil d’artistes en résidence de travail. Ce lieu a été créé par Florence Poirier-Nkpa, responsable de HeadMade Factory, un regroupement d’artistes résidants ou non à Saint-Martin et fondé en 2010.
Dans le cadre du programme de résidence, l’artiste Sidonie Bilger est accueillie au TAK pour une période de création immersive. Son projet, « Nouveaux Imaginaires », explore les traditions populaires, ainsi que les spécificités culturelles et environnementales de l’île.
Née en Alsace, Sidonie Bilger a étudié aux Beaux-Arts à Sarrebruck, en Allemagne, et aux Beaux-Arts de Paris. Depuis 2022 elle a eu l’occasion de faire plusieurs résidences d’artistes, notamment à La Baule, Saint-Nazaire…, mais aussi au Pays de Galles et en Allemagne.
Rencontre avec cette jeune artiste au talent incontestable et créatif.
Saint-Martin Breaking News : Pourquoi être venue à Saint-Martin ?
Sidonie Bilger : J’ai vu l’appel à candidature pour une résidence à Saint-Martin. Comme j’étais en train de travailleur sur la thématique du carnaval en France, j’ai proposé un projet autour du carnaval pour cette résidence. Mon projet a été retenu parce qu’il a un caractère particulier avec le carnaval de Saint-Martin. Ce n’est pas juste une fête, il y a un côté culturel, politique aussi, puisque ça concerne également la libération des esclaves, donc il y a énormément de références dans le carnaval par rapport à ça.
En France, quand je travaillais sur le carnaval, c’était plus sur le côté révolte, social, c’est-à-dire ce jour où tout est permis, où l’on peut se réinventer, se réimaginer, devenir un autre de manière générale.
SMBN : Quels ont été tes premiers rapports avec le carnaval de Saint-Martin ?
Sidonie Bilger : J’ai eu la chance, grâce aux contacts de Florence Poirier-Nkpa, de rencontrer très rapidement la directrice du Comité du carnaval, Luciana Raspail, mais aussi Frédérique Porier, la présidente de la troupe Hot and Spicy, qui m’a invitée à venir voir la réalisation des costumes.
J’ai également participé au carnaval, et jamais je n’aurais imaginé être autant en immersion et le vivre de l’intérieur. Mais tout s’est mis en place avec beaucoup de bienveillance et j’ai été très surprise.
Luciana Raspail m’a aussi proposé de faire une fresque pour le village du carnaval. Je n’ai eu que trois jours pour réaliser l’œuvre. Elle voulait quelque chose d’assez grand, sur la thématique du carnaval de Saint-Martin. Avec le peu de temps que j’avais pour réaliser la fresque j’ai pris énormément de mes motifs à moi, que j’avais déjà peint en France, et qui sont des motifs pour lesquels je suis connue et je les ais réinterprété à l’image de l’île.
SMBN : Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Sidonie Bilger : Je travaille de manière générale sur le paysage, mais surtout sur notre rapport au vivant. J’affronte donc un petit peu tous les rapports de domination qu’on peut avoir par rapport au vivant, il y a alors une dimension écologique et la façon dont on intervient dans les écosystèmes, mais aussi le rapport de domination qu’il peut y avoir entre les différents peuples, entre les hommes et les femmes… Tout ça m’intéresse.
C’est vrai que lorsque j’appréhende un sujet ça demande quand même beaucoup de temps de recherche pour le comprendre, pour que ce ne soit pas juste l’utilisation de stéréotypes, mais que ce soit quelque chose de vraiment pensé. Du coup ça demande un petit temps d’immersion qui est nécessaire et qui est variable. Il faut vraiment que je puisse bien digérer tout ce que je vois, que j’entends, pour pouvoir faire mes œuvres.
C’est pour ça que ma grande pièce je ne l’ai pas démarrée tout de suite, j’ai préféré prendre le temps de comprendre, de discuter avec les gens, les locaux, pour leur demander de me raconter des histoires locales, même des petites histoires banales, mais pour moi ça devient la source d’une orientation que je vais prendre et mettre comme un petit clin d’œil dans mes œuvres.
SMBN : Tu utilises quelles techniques pour peindre tes œuvres ?
Sidonie Bilger : Pour venir à Saint-Martin, j’ai privilégié le fusain et le pastel, parce que c’est plus facile à transporter dans l’avion, par ailleurs ce sont des techniques sèches donc il n’y a pas besoin d’attendre que ça sèche, comme la peinture à l’huile. Quand je fais des croquis, j’utilise des fusains de pierre noire et la couleur, c’est toujours du pastel.
Concernant la peinture que j’ai faite pour le village carnaval, j’ai utilisé de l’acrylique car il fallait que ça reste à l’extérieur et que ça puisse supporter les intempéries.
SMBN : L’œuvre que tu as faite pour le carnaval est un grand format. Tu travailles sur quels formats généralement ?
Sidonie Bilger : Depuis deux, trois ans, je travaille sur des formats gigantesques, qui peuvent aller jusqu’au monumental. Ça peut faire 10 m de long, sur 3,5 m de haut. Ça nécessite un escabeau, et parfois un échafaudage, parce que je travaille avec le dessin à la verticale devant moi, ce qui me permet de prendre du recul pour corriger.
En fait, je ne fais jamais de croquis préparatoire, je dessine directement, donc je me recule et je viens corriger mon dessin. Mon dessin évolue, dans un premier temps je cherche ma composition avec le fusain, je l’estompe, je redessine quand ça ne me plait pas. Parfois il y a des personnages entiers qui peuvent disparaître, qui réapparaissent dans d’autres endroits.
En fait, mon dessin a gardé, sous forme de fantômes, dans une espèce de vibration en arrière-plan, toutes les errances de composition, les recherches, et c’est qui donne à mes images le dynamisme général.
SMBN : Le carnaval que tu as vu à Saint-Martin est différent de celui que tu connais en métropole…
Sidonie Bilger : Ce séjour à Saint-Martin va marquer mon travail à la suite de ce que j’ai vécu ici. La lumière, les couleurs, l’énergie… Je me rend compte en voyant mon ancien travail sur le carnaval, qu’il est en prise avec quelque chose d’assez sombre. En fait aux Antilles, il y a quelque chose de l’ordre de la libération, alors que ce que j’ai vu dans le carnaval en France, c’est quelque chose de l’ordre de la révolte, on y va à fond, on éclate tout…
Alors qu’ici il y a vraiment une célébration de quelque chose d’extrêmement joyeux, et puis il y a aussi un rapport au corps qui est complètement différent, décomplexé, et je trouve ça assez incroyable à voir.
Avant son départ de Saint-Martin, les œuvres de Sidonie Bilger sont à découvrir au TAK, situé 8 rue de Concordia, à Marigot, lors de la soirée SIP and Tch’Art qui aura lieu le vendredi 14 mars 2025, de 18h00 à 21h00.
SMBN