Dans un courrier en date du lundi 25 octobre 2021, le Président Daniel Gibbs interpelle le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, sur la situation de l’hôpital Louis-Constant Fleming, le Covid sur le territoire, la mise en place du passe sanitaire, l’obligation vaccinale pour les soignants… Texte intégral du courrier adressé au ministre Véran.
Monsieur le Ministre,
Avant tout, je tiens à vous remercier pour l’accueil et l’écoute manifestées par votre Cabinet, à plusieurs reprises ces derniers mois, concernant la situation sanitaire de la Collectivité de Saint-Martin.
Actuellement, l’épidémie de Covid-19 s’inscrit, localement, sur une phase descendante, avec un taux d’incidence hebdomadaire s’établissant autour de 80 cas/100 000 habitants. Pour autant, il convient de bien prendre en compte la faible population du territoire (35 000 habitants) : le fameux seuil d’alerte de 50 cas hebdomadaires Covid/100 000 habitants est ainsi dépassé à partir de seulement 18 nouveaux cas/semaine à Saint-Martin…
Depuis mars 2020, nous déplorons 55 morts du Covid. Soit 0,15 % de la population saint-martinoise, à comparer à la moyenne nationale (0,18 %).
Cet été, la « 4e vague » a été violente, mais in fine moins meurtrière qu’en Guadeloupe et en Martinique ; même si le bilan a été alourdi par notre faible niveau de vie, notre situation de « double insularité » limitant le recours aux EVASAN, et par les comorbidités structurelles subies par les saint-martinois (diabète, obésité, hypertension…).
En revanche, nous avons été relativement épargnés par deux facteurs :
– (1) Notre pyramide des âges: les plus de 80 ans (qui, au niveau national, représentent 60 % des décès du Covid) ne rassemblent que 1,2 % de la population locale ; c’est quatre à cinq fois moins qu’en Guadeloupe (5 %) et en France hexagonale (6,1 %).
– (2) Notre taux de vaccination, et ce contrairement aux clichés et aux idées reçues. Si l’on considère la population globale, seuls 36,3 % des saint-martinois ont certes reçu au moins une injection au 21 octobre ; mais ce taux est tiré vers le bas par une proportion de personnes non éligibles plus importante qu’ailleurs (18 % de 0-11 ans, contre 13 % au niveau national). Or, il s’avère bien plus favorable lorsque l’on prend en compte les âges « vulnérables », là où la vaccination est la plus efficace : ainsi, s’agissant des 75-79 ans, le taux, légèrement supérieur à 87 % pour une injection, se rapproche du niveau national (97 %) : fait peu connu, c’est le meilleur taux outre-mer sur cette tranche d’âge.
Dès lors, aujourd’hui plus que jamais, les mesures sanitaires édictées par l’Etat ont vocation à résolument prendre en compte les spécificités démographiques, économiques et sociales du Territoire.
Dans cette visée, et à l’heure où, à l’instar des Antilles, la situation sociale est, localement, de plus en plus tendue, je souhaite donc vous faire part de mes préoccupations, de mes attentes et de mes propositions, s’agissant des sujets concernant la santé de nos compatriotes saint-martinois en général et la situation du Centre Hospitalier (CH) Louis-Constant Fleming (LCF) en particulier.
Comme vous le savez, la santé publique demeure une compétence relevant strictement de la sphère étatique, et les décisions sont prises au niveau national, voire « régional » (ARS de Guadeloupe).
Pour autant, la Collectivité de Saint-Martin ne se contente pas d’être dûment et régulièrement « informée », et reste très attentive aux problématiques sanitaires. Les élus du Conseil exécutif de la Collectivité ont ainsi, à deux reprises et à l’unanimité, appelé l’attention du Gouvernement, notamment sur l’impérieuse nécessité de renforcer les moyens budgétaires, matériels et humains de l’hôpital de Saint-Martin (cf. Vœux du 9 Septembre 2020 et du 24 Février 2021 : PJ).
Compte tenu de la situation actuelle, je tiens, en ma qualité de Président du Conseil Territorial de Saint-Martin et Président de Conseil de surveillance du CH-LCF, à vous confirmer par le présent courrier, mes convictions et ma position, déjà évoquées lors de mes récents entretiens avec les organisations syndicales représentatives :
S’agissant des moyens de l’hôpital, j’ai encore défendu, de concert avec Mme la Directrice Lampis, le projet de renforcement des moyens du CH-LCF devant votre Cabinet le 27 septembre dernier. Les sommes nécessaires, notamment à la mise en place d’un service de réanimation pérenne permettant d’éviter les EVASAN, sont modestes à l’échelle nationale, avec 17,75 M. €.
Nous attendons donc beaucoup des crédits du SEGUR de la Santé (98 M. € de dépenses d’investissement « projet » et 10 M. € d’investissements « courants » sont prévues pour l’ARS Guadeloupe, qui inclut les « Iles du Nord » lesquelles ne sauraient constituer une variable d’ajustement). Je continuerai à défendre l’augmentation des moyens du CH-LCF dans les semaines et mois à venir, y compris, et je tiens à le souligner, en ce qui concerne le fonctionnement quotidien des Services.
Parallèlement, la nomination d’un médecin du travail, que les organisations syndicales appellent de leurs vœux, me semble une mesure pertinente et de bon sens : je soutiens une telle démarche, en coordination avec la Direction de l’hôpital, avec qui les relations de travail sont sereines et constantes.
Concernant la gratuité des tests (PCR et antigéniques). Il a été décidé, suite à la demande des élus et du Préfet Gouteyron, de la prolonger au-delà du 15 octobre : la date limite est désormais le 15 novembre 2021, correspondant, en principe, à la fin de l’état d’urgence sanitaire sur notre territoire. Je ne peux que me féliciter de cette décision de bon sens.
Pour autant, le prolongement de cette mesure au-delà de cette échéance m’apparaît indispensable, d’autant plus que le niveau de vie de la population saint-martinoise, on l’oublie souvent, est deux fois inférieur à la moyenne nationale.
En outre, rendre les tests payants engendrerait une hausse importante du taux de positivité (2 % actuellement) : celle-ci justifierait, selon l’ARS de Guadeloupe, de nouvelles mesures restrictives, lesquelles contribueraient à anéantir notre économie, essentiellement basée sur le tourisme et d’ores et déjà très affaiblie.
Je tiens en effet à rappeler que le nombre de demandeurs d’emploi de moins de 25 ans a augmenté de 27 % entre le 2e T. 2020 et le 2e T. 2021. Le risque d’explosion sociale est donc réel.
Concernant le « passe sanitaire », il a été mis en place ce 22 octobre, jour de son instauration sur la partie néerlandaise de l’île (en l’espèce, sur la base du volontariat…). Le passe ne concernera que les restaurants accueillant plus de 30 personnes : c’est, me semble-t’il, un compromis acceptable entre les exigences sanitaires demandées expressément par nos socioprofessionnels, notamment à destination de notre clientèle touristique nord-américaine, et la nécessité, pour les saint-martinois, de continuer à avoir une « vie normale ».
Je serai néanmoins très vigilant, compte tenu du contexte social, sur la nécessité d’une application pragmatique, progressive et pédagogique de cette mesure. Et je demeure, évidemment, partisan de sa levée la plus rapide possible, et ce, sans attendre le 31 juillet 2022.
Enfin, s’agissant de l’obligation vaccinale pour les soignants, il s’agit d’un point de blocage important, qui menace la cohésion du territoire et le fonctionnement régulier de notre centre hospitalier dans un contexte, hélas structurel, de difficultés de fonctionnement et de pénuries de personnel. La suspension, brutale, de dizaines de soignants tend ainsi, dans le contexte de « double insularité » susmentionné, à occasionner de préjudiciables carences et ruptures en termes d’offre de soins à la population : ainsi, faute de personnel, les risques de « pertes de chance » pour les patients augmentent significativement.
Là encore, le bon sens doit prévaloir, comme en Martinique il y a quelques jours (cf. PJ). Je plaide, dès lors, pour des assouplissements pragmatiques, assortis d’initiatives susceptibles de rétablir le dialogue auquel je suis plus que jamais attaché : en un mot, convaincre et non contraindre ; « aller vers », et pas « aller contre ». Par exemple, (i) la transformation de l’obligation vaccinale en « garantie sanitaire » (test antigénique ou salivaire présenté tous les trois jours, a fortiori pour les personnels n’étant pas au contact du public) et (ii) l’élargissement de l’offre vaccinale (non limitée aux produits à ARN-m) me semblent être des avancées réalistes, pertinentes et nécessaires.
Corrélativement, de telles mesures, que je souhaite sincèrement, rendraient impérative et immédiate la levée des barrages, qui tendent à se multiplier ces derniers jours : la liberté d’aller et venir, et notamment celle d’accéder aux soins, doit être totale dans un Etat de droit comme le nôtre.
Je souhaite donc la mise en œuvre, concertée, d’un « Plan de désescalade ». Celui-ci pourrait, dans les jours à venir, être affiné par le déplacement in situ, dans les quatre collectivités françaises de la Caraïbe, d’une mission de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales NDLR).
Je suis évidemment prêt à défendre toute mesure aboutissant à une issue favorable, y compris lors d’un prochain déplacement à Paris, où je me rendrai en début de matinée du mercredi 17 novembre prochain dans la perspective de ma participation à la XXVIe Conférence européenne des Présidents des Régions Ultrapériphériques (Açores, 17-19 novembre).
Dans l’attente de vos retours, et restant à votre entière disposition pour tout entretien et toute information complémentaire, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma respectueuse considération.
Daniel GIBBES
Président du Conseil Territorial
PJ : 4
Vœu du Conseil exécutif du 9 Septembre 2020
Vœu du Conseil exécutif du 24 Février 2021
Note sur la situation sanitaire de la COM de Saint-Martin (25 Octobre 2021)
CHU de Martinique, Note d’information n°2021-10-332 (19 Octobre 2021)
Copies :
M. Lecornu, Ministre des Outre-mer
M. Rochatte, Préfet de la Région Guadeloupe
M. Gouteyron, Préfet délégué de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy
M. De Kerever, Conseiller Outre-mer, Présidence de la République